jeudi 29 décembre 2016

Visages d'Aden



JOUFFROY D'ABBANS 

Petite découverte, un portrait photographique du comte Alexandre Louis Ferdinand Jouffroy d'Abbans (Besançon, 1851-1915), qui fut représentant de la France à Aden en 1882. 

On connaissait déjà une photographie de lui plus tardive, celle-ci est intéressante dans la mesure où elle date précisément de l'époque où Jouffroy d'Abbans et Rimbaud se sont côtoyés à Aden. 

Ce portrait sur carte cabinet réalisé par le photographe Alfred Boname à Besançon porte en effet un ex-dono manuscrit de Jouffroy d'Abbans daté d'Aden, 1882, ce qui en fait un document fort rare (on ne connait que très très peu de photographies d'Européens vivant à Aden à l'époque de Rimbaud). 

Accessoirement, ce portrait confirme que Jouffroy d'Abbans ne paraît pas figurer sur les quelques portraits de groupe réalisés à Aden dans cette période (Hôtel de l'Univers, Factorerie Bardey, Sheikh-Othman...).

On ne connait pas de liens particuliers entre cet éphémère vice-consul et Arthur Rimbaud, en cette année 1882 où ce dernier se morfondait à Aden. Il fait cependant allusion à Jouffroy d'Abbans dans une lettre à sa famille à propos de sa situation militaire, datée du 18 janvier : 

"Quant à l’affaire du service, vous trouverez ci-inclus une lettre du Consul à mon adresse, vous montrant ce que j’ai fait, et quelles pièces sont au ministère. Montrez cette lettre à l’autorité militaire, ça les tranquillisera."

(Cette photographie est en vente : cliquer ici)

Jouffroy d'Abbans - Source : The Cyclopedia of New-Zealand


LABATUT

Le visage de Pierre Labatut, "trafiquant" en Abyssinie et malheureux associé de Rimbaud dans l'affaire de la caravane d'armes à destination de Ménélik, était jusqu'ici inconnu. Il semble pourtant que le musée Arthur Rimbaud conserve un portrait photographique de lui, en costume arabe, jamais reproduite à notre connaissance (contrairement au portrait de Soleillet, en bas, qui lui figure dans des dizaines d'ouvrages). 

S'il s'agit bien de Labatut, il ne paraît pas, lui non plus, figurer dans les photos de groupe d'Aden et d'Abyssinie.


(Photo Sylvain Delbès - Association des Amis de Rimbaud) 




mardi 28 juin 2016

Du nouveau sur Bidault de Glatigné et Augustine Porte


Au cours de l'enquête sur la photographie de l'Hôtel de l'Univers à Aden, il a souvent été question d'Edouard Joseph Bidault de Glatigné, photographe qui sera ami avec Rimbaud dans la seconde moitié des années 1880, ainsi que de son épouse Augustine Porte, fille adoptive de Charles Nedey, hôtelier et photographe à Aden jusqu'à la fin des années 1870. 


L'Illustration, 1887, photographies de Bidault, communiquées par Georges Révoil *


M. Pierre Guéry, descendant de la famille Bidault de Glatigné, vient de publier (à compte d'auteur) un joli livre sur la vie et l'oeuvre de son fameux ancêtre. Outre des précisions biographiques, il reproduit de nombreuses photos réalisées par Bidault en Abyssinie en 1886-1889, et révèle son activité de "photo-reporter" en Amérique du Sud, en 1890-1893. 




M. Guéry a également retrouvé une photographie inédite d'Augustine, très intéressante, puisque la jeune femme figure sans doute dans le groupe qui pose à l'Hôtel de l'Univers.


Collection familiale, reproduction interdite sans l'accord des ayants-droits


Augustine, née en 1861, épousa Bidault à Aden en 1878. Ils se séparèrent officiellement en novembre 1886 et Augustine refit sa vie avec un explorateur italien dont le nom est familier aux rimbaldiens, Pietro Felter. En juin 1887, elle quitta Aden pour s'installer dans la ville de Felter, Brescia. La photographie date de cette époque,  vers 1890, et présente Augustine âgée d'environ 29 ans. Il est d'ailleurs à noter qu'Augustine n'avait pas renoncé à l'aventure, puisqu'elle conduisit des caravanes en Abyssinie, ce qui demandait un courage et une force de caractère peu communs (ce fait est attesté par l'une des dernières lettres reçues par Rimbaud, en 1891, dans laquelle Felter proposait que la caravane de sa femme se joigne à celle de Rimbaud). 

On ne connaissait qu'une photographie d'Augustine, dans laquelle elle apparaît plus âgée, que nous avions publiée dans notre dossier sur la photo de l'Hôtel de l'Univers



Collection familiale, reproduction interdite sans l'accord des ayants-droits


Une autre a depuis été publiée dans un article consacré à Felter



Ces trois portraits ne permettent pas d'identifier formellement la femme de l'Hôtel de l'Univers, mais il y a, pour le moins, un air de famille. Visage grassouillet, nez court au bout légèrement relevé, petite bouche, repli de chair au-dessus de la paupière supérieure, front arrondi... Et on remarque qu'Augustine avait l'habitude de remonter ses cheveux depuis la nuque pour former un chignon au-dessus de la tête.


Ces faits ne constituent pas une preuve, mais la probabilité que l'une des très rares femmes occidentales présentes à Aden vers 1880 puisse, comme par hasard, ressembler à Augustine est bien sûr faible **. 

De plus, la femme de l'Hôtel de l'Univers présente un très gros ventre caractéristique : elle est enceinte, de plusieurs mois. 




Or les européennes ayant mené leur grossesse dans la rude contrée d'Aden à cette époque sont fort peu nombreuses. A ce jour on n'en connaît qu'une : précisément Augustine Bidault de Glatigné, qui accouchera à Aden le 11 novembre 1880. En août 1880, elle était donc enceinte de 6 mois environ. Cela fait pas mal de coïncidences.  


Acte de naissance de Cécile Bidault de Glatigné


L'hypothèse la plus vraisemblable et raisonnable est donc que cette femme est bien Augustine. Cela implique que la photo n'ait pas été prise en 1879, mais selon toute logique en 1880, en août, au moment où Augustine était enceinte et où Lucereau, Riès, Révoil et Rimbaud se sont côtoyés dans cette ville. 

D'autres petites informations nouvelles sont apparues ces derniers temps à propos des personnages figurant sur cette photographie, ou n'y figurant pas ***, sur lesquelles nous reviendrons. 






* Cette transmission par Révoil de photographies réalisées par Bidault atteste de liens entre les deux photographes explorateurs. Soleillet a également communiqué à la presse des photographies de Bidault.

** Certains ont proclamé que cette femme serait sa mère, Maria Nedey. Cependant on ne connaît pas de portrait d'elle, et, à notre connaissance, sa présence à Aden n'est même pas attestée à cette époque. De toutes façons cette hypothèse est farfelue, Maria Nedey étant âgée de 54 ans en 1880 (d'autant plus que les gens à cette époque faisaient généralement dix ans de plus qu'aujourd'hui...), et que la possibilité qu'elle ait pu être enceinte en 1879 est pour le moins faible ! M. Bienvenu écrivait aussi : "nous savons, selon nos propres recherches que Bidault de Glatigné et Augustine Emilie Porte se sont connus à l'Hôtel de l'Univers", mais il n'a pas à ce jour publié la source de ce scoop qui est digne de Voici ou Gala... (http://rimbaudivre.blogspot.fr/2010/11/la-dame-de-lhotel-de-lunivers-par.html)

*** Les absences sont en effet aussi intéressantes que les présences. Par exemple, on sait que César Tian n'y apparaît pas, ce qui est logique si la photo date d'août 1880, puisqu'à ce moment il était en France. En revanche son absence serait étonnante si la photo date de novembre 1879 : pourquoi la principale personnalité française d'Aden ne figurerait pas sur le cliché, d'autant plus qu'il était proche de Dutrieux ? 

jeudi 19 mai 2016

Le premier portrait de Rimbaud


Photo Bibliothèque nationale de France


Une petite enquête sur le premier portrait de Rimbaud, et une proposition d'identification du photographe qui l'a réalisé. 




Article paru dans L'Union, 11 mai 2016






mercredi 30 mars 2016

Le Rimbaud de Carjat entre à la BnF




Rimbaud par Carjat, 1871 (détail) - Copyright Bibliothèque nationale de France


En 2013, nous avons retrouvé dans les archives de Paul Claudel une photographie originale de Rimbaud par Carjat (voir « Claudel et les visages de Rimbaud – Des photographies inconnues », Histoires littéraires, 57, printemps 2014 - article désormais en ligne).

Cette épreuve était connue mais, mêlée à d’autres documents et reproductions modernes, elle n’avait jamais été identifiée en tant que telle. Or il s’agissait bien d’un tirage d’époque, datant de 1871. On ne connaît que deux autres exemplaires de cette image, dont un seul en bon état, qui sont conservés dans des collections privées. De plus, l’exemplaire de Claudel provient directement de la famille Rimbaud, la sœur d’Arthur, Isabelle, le lui ayant légué en 1917.

Compte-tenu de la rareté des portraits photographiques de Rimbaud, cet exemplaire est particulièrement précieux. La comparaison entre les trois épreuves d’époque désormais connues permet également de mettre un terme définitif aux rumeurs farfelues selon lesquelles cette image aurait été truquée par Paterne Berrichon, et donc de préciser notre connaissance de l’apparence du très jeune et foudroyant poète.


Rimbaud par Carjat, 1871 - Copyright Bibliothèque nationale de France


En 2015, l’indivision Claudel a décidé de mettre en vente ce document et nous a chargé de lui proposer un acquéreur. Nous avons choisi de nous tourner vers l’institution qui paraissait être la destinataire idéale de cette photographie exceptionnelle : la Bibliothèque nationale de France (le musée Arthur Rimbaud ne disposant pas forcément de l'autonomie de décision et de financement nécessaires). Mme Sylvie Aubenas, directrice du département des Estampes et de la photographie, et M. Bruno Racine, président de la bibliothèque, ont immédiatement mesuré l’importance de ce document et ont permis son acquisition par la BnF. 

C’est la seule photographie de Rimbaud poète qui soit, désormais, conservée dans une institution publique. En effet, les musées et bibliothèques ne détenaient jusqu’à présent que des reproductions tardives et plus ou moins altérées des deux photographies de Carjat.
En même temps que cette photographie, la BnF a acquis la seule reproduction authentique du plus célèbre portrait de Rimbaud par Carjat, que nous avions également retrouvée dans les archives de Paul Claudel. Il ne s’agit que d’une reproduction en contretype (photographie de la photographie originale), en tout petit format, réalisée vers 1910, à partir de l’original appartenant à la famille Rimbaud. Mais ce document est très important, puisque l’original est aujourd’hui perdu, et que cette photographie, la plus fameuse de toutes les photographies du XIXe siècle, n’était jusqu’ici connue que par des reproductions très altérées, parfois retouchées ou truquées. 


Rimbaud par Carjat, 1871, contretype, années 1910 - Copyright Bibliothèque nationale de France


Nous disposons donc désormais de documents de référence, qui sont accessibles à tous les chercheurs. C’est une bonne occasion de se repencher sur une irritante question : comment se fait-il que ces deux photographies, qui ont très certainement été prises le même jour et lors de la même séance, montrent le poète sous une apparence tellement différente ? 





mardi 2 février 2016

Rimbaud à contresens


Nouvelle étude

Rimbaud retouché : les photographies d'Afrique, ou Rimbaud à contresens. 

Enquête sur les autoportraits photographiques d'Arthur Rimbaud et les avanies qu'il ont subies durant le XXe siècle.

Où il est aussi question de l'iconographie de personnages célèbres comme sainte Thérèse de Lisieux... 




Rimbaud, autoportrait aux bras croisés, Harar, 1883
Document authentique (Bibliothèque nationale de France) et, à droite, reproduction habituellement publiée